Fundamentos destacados: 11. M. [E] fait le même grief à l’arrêt, alors que «l’exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage suppose que la faute de la victime revête les caractéristiques de la force majeure ; qu’en l’espèce, pour décider que la faute de la victime revêtait les caractéristiques de la force majeure, la cour d’appel a retenu que “M. [E] avait connaissance des règles applicables sur le circuit et notamment de la signification du drapeau jaune imposant de ralentir et non de freiner brutalement” et que “le premier pilote ayant chuté près du muret à droite de la piste sans empiéter sur celle-ci, aucun obstacle soudain ne lui imposait de freiner brutalement d’autant qu’il était en phase de réaccélération après une sortie de virage”, de telle sorte que “M. [P] ne pouvait prévoir que durant une course consacrée aux pilotes de la catégorie “confirmé”, les consignes de sécurité ayant été au surplus rappelées avant le départ, M. [E] violerait ces règles et opérerait un freinage brutal, comportement qui l’a mis dans l’impossibilité d’éviter M. [E] compte tenu de leur proximité alors qu’ils se suivaient de près” ce dont il résultait que “les fautes imprévisibles et irrésistibles de M. [E] exonèrent ainsi totalement M. [P] de sa responsabilité”, cependant qu’elle avait constaté que le chef de piste “était alors entré sur la piste en agitant un drapeau jaune”, que s’il était un “habitué du circuit”, il n’était pas licencié contrairement à M. [P], et que leur commune appartenance au classement confirmé ne résultait que “des performances de temps réalisées au tour” précédent, seule une “séance d’information [étant] réalisée notamment pour expliquer les couleurs des drapeaux et le comportement à observer” avant chaque séance de roulage ; qu’en conséquence, le freinage brutal d’un participant en cas d’accident lors d’une course de motocyclette, ne saurait être considéré comme un événement imprévisible ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1242, alinéa 1er, du code civil.»
13. Pour débouter M. [E] de toutes ses demandes, l’arrêt déduit de ses constatations que ses fautes imprévisibles et irrésistibles exonèrent totalement M. [P] de sa responsabilité de gardien, dès lors que ce dernier ne pouvait prévoir que, durant une course consacrée aux pilotes de la catégorie « confirmé » qui s’étaient vus rappeler les consignes de sécurité avant le départ, M. [E] violerait ces règles et opérerait un freinage brutal qui ne s’imposait pas.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 30 novembre 2023, 22-16.820, Publié au bulletin
Cour de cassation – Chambre civile 2
Audience publique du jeudi 30 novembre 2023
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 17 février 2022
Président
Mme Martinel
Avocat(s)
SCP Bénabent, SCP Gadiou et Chevallier
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
____________________
Audience publique du 30 novembre 2023
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1192 F-B
Pourvoi n° N 22-16.820
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2023
M. [R] [E], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 22-16.820 contre l’arrêt rendu le 17 février 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 11), dans le litige l’opposant:
1°/ à M. [N] [P], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société L’Equité, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la Caisse nationale militaire de sécurité sociale, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à la société mutuelle Uneo, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [E], de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [P] et de la société L’Equité, et l’avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l’audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué ( Paris, 17 février 2022), le 23 août 2013, M. [E], alors qu’il pilotait une motocyclette au cours d’une séance de « roulage » sur un circuit fermé, a chuté au sol lors d’une manoeuvre de freinage, avant d’être percuté par la motocyclette conduite par M. [P].
2. M. [E] a assigné en indemnisation M. [P] et la société l’Equité, assureur du véhicule de ce dernier (l’assureur), en présence de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale et de la mutuelle Unéo santé.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. M. [E] fait grief à l’arrêt de le débouter de toutes ses demandes indemnitaires dirigées contre M. [P] et son assureur, alors que « pour exonérer le gardien de la chose instrument du dommage, les juges doivent caractériser une faute de la victime et son lien de causalité avec le dommage dont cette dernière demande réparation ; qu’en l’espèce, pour exonérer le gardien de la moto ayant percuté la victime au sol au titre de la faute de cette dernière, la cour d’appel a retenu que “M. [E] avait connaissance des règles applicables sur le circuit et notamment de la signification du drapeau jaune imposant de ralentir et non de freiner brutalement” et que “le premier pilote ayant chuté près du muret à droite de la piste sans empiéter sur celle-ci, aucun obstacle soudain ne lui imposait de freiner brutalement d’autant qu’il était en phase de réaccélération après une sortie de virage”, cependant qu’elle avait constaté que le chef de piste “était alors entré sur la piste en agitant un drapeau jaune”, que s’il était un “habitué du circuit”, il n’était pas licencié contrairement à M. [P], que leur commune appartenance au classement confirmé ne résultait que “des performances de temps réalisées au tour”, et que seule une “séance d’information était réalisée notamment pour expliquer les couleurs des drapeaux et le comportement à observer” avant chaque séance de roulage ; que ce faisant, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en retenant sa faute et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 1241 et 1242, alinéa 1, du code civil ; »
Réponse de la Cour
5. L’arrêt énonce que c’est après l’entrée sur la piste du responsable de la sécurité, agitant un drapeau jaune à la suite de la chute d’un premier motard n’empiétant pas sur la voie, que M. [E], qui arrivait en réaccélération à la sortie d’un virage, a brusquement freiné avant de chuter, puis d’être percuté au sol par M. [P].
6. Il retient, d’une part, que tant M. [E] que M. [P], qui participaient à une session réservée à des pilotes confirmés, étaient des « habitués » du circuit qu’ils connaissaient parfaitement, d’autre part, qu’une séance d’information était donnée avant chaque « roulage » sur les règles de comportement à observer sur la piste.
7. Il ajoute que M. [E] avait connaissance notamment de la signification du drapeau jaune, imposant simplement de ralentir, et qu’aucun obstacle soudain ne lui imposait de freiner brutalement.
8. Il en déduit que M. [E] a freiné brutalement sans nécessité, contrairement aux consignes données, alors qu’il était en pleine accélération après une sortie de virage, créant un risque de collision avec les motards qui le suivaient.
9. De ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a pu déduire que M. [E] avait commis une faute de conduite en lien de causalité avec son dommage.
10. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
11. M. [E] fait le même grief à l’arrêt, alors que « l’exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage suppose que la faute de la victime revête les caractéristiques de la force majeure ; qu’en l’espèce, pour décider que la faute de la victime revêtait les caractéristiques de la force majeure, la cour d’appel a retenu que “M. [E] avait connaissance des règles applicables sur le circuit et notamment de la signification du drapeau jaune imposant de ralentir et non de freiner brutalement” et que “le premier pilote ayant chuté près du muret à droite de la piste sans empiéter sur celle-ci, aucun obstacle soudain ne lui imposait de freiner brutalement d’autant qu’il était en phase de réaccélération après une sortie de virage”, de telle sorte que “M. [P] ne pouvait prévoir que durant une course consacrée aux pilotes de la catégorie “confirmé”, les consignes de sécurité ayant été au surplus rappelées avant le départ, M. [E] violerait ces règles et opérerait un freinage brutal, comportement qui l’a mis dans l’impossibilité d’éviter M. [E] compte tenu de leur proximité alors qu’ils se suivaient de près” ce dont il résultait que “les fautes imprévisibles et irrésistibles de M. [E] exonèrent ainsi totalement M. [P] de sa responsabilité”, cependant qu’elle avait constaté que le chef de piste “était alors entré sur la piste en agitant un drapeau jaune”, que s’il était un “habitué du circuit”, il n’était pas licencié contrairement à M. [P], et que leur commune appartenance au classement confirmé ne résultait que “des performances de temps réalisées au tour” précédent, seule une “séance d’information [étant] réalisée notamment pour expliquer les couleurs des drapeaux et le comportement à observer” avant chaque séance de roulage ; qu’en conséquence, le freinage brutal d’un participant en cas d’accident lors d’une course de motocyclette, ne saurait être considéré comme un événement imprévisible ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1242, alinéa 1er, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil :
12. La faute de la victime n’exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure.
13. Pour débouter M. [E] de toutes ses demandes, l’arrêt déduit de ses constatations que ses fautes imprévisibles et irrésistibles exonèrent totalement M. [P] de sa responsabilité de gardien, dès lors que ce dernier ne pouvait prévoir que, durant une course consacrée aux pilotes de la catégorie « confirmé » qui s’étaient vus rappeler les consignes de sécurité avant le départ, M. [E] violerait ces règles et opérerait un freinage brutal qui ne s’imposait pas.
14. En statuant ainsi, alors que la chute d’un pilote sur un circuit ne constitue pas un fait imprévisible pour les motards qui le suivent, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour:
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 février 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Paris;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.
Condamne M. [P] et la société l’Equité aux dépens;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [P] et la société l’Equité et les condamne à payer à M. [E] la somme globale de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-trois.